Spirou dans la tourmente de la Shoah

Le 9 décembre 2022 s’est ouvert à Paris, au Mémorial de la Shoah, une exposition consacrée à Spirou dans la tourmente de la Shoah. Mais que vient faire le petit groom espiègle dans les affres de la Seconde Guerre mondiale ?

L’exposition fait écho aux quatre albums d’Émile Bravo intitulés « L’Espoir malgré tout » parus chez Dupuis entre 2018 et 2022. L’auteur y fait référence au vécu du peintre Felix Nussbaum et de sa compagne Felka Platek, artiste elle aussi. Réfugié à Bruxelles, ce couple de juifs exilés s’est caché durant la guerre dans un grenier de la rue Archimède avant d’être arrêté suite à la dénonciation d’un voisin. Ils ont été déportés par le dernier convoi qui a quitté la caserne Dossin, le 31 juillet 1944. Tous deux sont morts assassinés à Auschwitz.

Une exposition à plusieurs entrées

À travers des planches originales, des documents d’archives et des œuvres de Félix Nussbaum, l’exposition évoque la Belgique occupée, des premières heures de l’invasion à la Libération. Elle revient également sur l’ histoire du Journal de Spirou. Lancé en avril 1938, l’hebdomadaire est la propriété de l’éditeur Jean Dupuis, qui rejoint l’Angleterre au début du conflit. Ses deux fils et son beau-fils reprennent les rênes de l’entreprise pendant la guerre. Le journal continue de paraître jusqu’à ce que l’occupant ne s’en mêle d’un peu trop près. C’est alors qu’émerge cette idée de génie de continuer à faire vivre ses personnages par le biais d’un théâtre de marionnettes, le Théâtre du Farfadet, qui sillonne le pays à partir de décembre 1942 sous la férule d’André Moons. Le Journal de Spirou cesse alors de paraître.

L’intérêt de cette exposition est de rendre accessible à un très large public, y compris aux plus jeunes, une histoire difficile. À travers les péripéties de Spirou et de sa rencontre avec Felix Nussbaum et Felka Platek, le lecteur est confronté à la réalité de l’occupation en Belgique : entre collaboration et résistance, entre résignation et déportation, ce sont autant de facettes présentées avec la rigueur des documents mais aussi la distance du dessin. L’exposition évoque également le parcours plus ambigu d’Hergé et de son personnage Tintin, grand rival de Spirou, ainsi que la situation de la bande dessinée à la sortie de la guerre.

Le rôle clé de Jean Doisy

Derrière la création du Théâtre du Farfadet, on retrouve la personnalité de Georges Evrard, alias Jean Doisy. Entré à la rédaction du Moustique en 1932, l’homme est tout à la fois écrivain et scénariste. Il devient de fait le rédacteur en chef du Journal de Spirou, tout en s’engageant en politique. Il participe notamment à la création de la Ligue (belge) contre le racisme et l’antisémitisme avec son ami Émile Hambresin, qui mourra en déportation en 1943. Durant la guerre, les deux hommes militent au sein du Front de l’Indépendance. Hambresin est par ailleurs l’un des co-fondateurs du Comité de Défense des Juifs. Autour d’eux gravite également Victor Martin qui partira en mission exploratoire secrète à Auschwitz début 1943. C’est aussi Jean Doisy qui recrute Suzanne Moons qui aidera au sauvetage de quelque 600 enfants juifs, et n’est autre que la mère d’André Moons, l’animateur du Théâtre du Farfadet.

La participation du CegeSoma

Sollicité par Didier Pasamonik, commissaire de l’exposition, le CegeSoma a contribué à l’exposition, par le prêt de documents et la rédaction d’une partie des cartels, ainsi qu’à la rédaction du catalogue.
Très richement illustré, on y retrouve des contributions de Pascal Ory, Bernard Krouck, Tal Bruttmann, Laurence Schram, Joël Kotek, Caroline François, Chantal Kesteloot, Romain Blandre, Didier Pasamonik ainsi que Bertrand et Christelle Pissavy-Yvernault.

L’exposition est accessible gratuitement jusque fin août 2023 au Mémorial de la Shoah à Paris.

Didier Pasamonik (sous la direction de), Spirou dans la tourmente de la Shoah, catalogue de l’exposition, Éditions Dupuis, 2022, 152 pages.