Des passions cachées ? Les archives de la justice militaire et leurs modalités de consultation
Les archives de la justice militaire sont d'une grande importance scientifique et sociétale. Au cours des cinq dernières années, les Archives de l'État ont traité plus de 1 400 demandes d'accès à ces archives. Dans un récent article pour META. Tijdschrift voor bibliotheek & archief, l’archiviste Johannes Van De Walle (Archives générales de l'État 2 - Dépôt Joseph Cuvelier), évoque l'histoire mouvementée de ces archives et leurs modalités de consultation.
L’appellation "archives de la justice militaire" recouvre toutes les archives émanant des juridictions militaires belges. En règle générale, ces tribunaux extraordinaires sont compétents pour juger les militaires, mais dans certaines circonstances, leur compétence peut être élargie. C'est le cas après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le gouvernement belge de Londres décide de confier le procès des collaborateurs aux tribunaux militaires. 21 auditorats militaires locaux sont alors créés à un rythme effréné. Ils procéderont à l’ouverture de plus de 400 000 dossiers : dans un peu plus de 57.000 cas, des poursuites seront engagées; et la Cour militaire rendra 18.126 jugements en appel.
Depuis 2018, les Archives de l'État sont chargées de conserver les archives des auditorats militaires, des conseils de guerre, de la Cour militaire et de l'auditorat général. A côté de séries volumineuses de dossiers de documentation et de renseignement sur base desquels il est possible de reconstituer la politique en matière de poursuites pénales, il s’agit de quelque 500.000 dossiers judiciaires relatifs à des affaires individuelles. Ces dossiers sont essentiels pour l'étude de la collaboration et de la répression d'après-guerre, non seulement pour les historiens, mais aussi pour les nombreux citoyens qui cherchent à en savoir plus sur le passé de leur famille pendant la guerre.
Actuellement, toute personne souhaitant consulter un dossier judiciaire de la justice militaire doit introduire une demande motivée au Collège des procureurs généraux. Le droit d’accès dépend de l'identité du demandeur : les membres de la famille et les chercheurs liés à une université ou à une institution de recherche reconnue peuvent se voir accorder le droit d’accès sous certaines conditions.
L'histoire de la politique de consultation a connu un parcours erratique. Les historiens qui, dès le début des années 1960, ont insisté pour obtenir l’accès aux dossiers judiciaires n'ont jamais obtenu de réponse de l'auditeur général, John Gilissen. Els De Bens, qui a défendu sa thèse sur la presse quotidienne pendant l'occupation allemande à l'université de Gand en 1972, a été la première à se voir accorder l'accès à ces dossiers, et ce, après avoir confronté Gilissen au fait que de nombreux documents confisqués contenus dans les dossiers étaient librement consultables à l'étranger. La publication de sa recherche un an plus tard a déclenché une avalanche de polémiques et de questions parlementaires. La question de l'ouverture à la recherche des dossiers de la répression était fortement liée à la question alors très actuelle de l'amnistie. Il existait également une prise de conscience croissante au sein de l'auditorat général que tôt ou tard, les dossiers devraient être divulgués. Le rapport d'une réunion des auditeurs militaires datant de mai 1972 indique que "la majorité de la nation a reconnu l'importance de l’accès libre. [...] La question est de savoir si l’on va répondre ou non à un besoin apparemment irrépressible d'informations objectives, en tout cas aussi complètes que possible, d’une compréhension plus juste - avec le recul du temps et une approche moins émotionnelle - des événements de la guerre". Pour la première fois, la porte des archives de la justice militaire s’entrouvrait. Au cours des années suivantes, de plus en plus de chercheurs et de proches ont profité de cette ouverture, et peu à peu, l'auditorat général s’est départi de sa méfiance.
Il faudra cependant attendre 1996 pour que la politique de consultation soit pour la première fois définie par des critères objectifs, avec pour conséquence, un durcissement considérable des conditions de consultation. Dans une circulaire, l'auditeur général Minne affirmait alors qu'une politique de consultation plus restrictive devait "éviter que l'ordre public ne soit troublé par l'octroi d'un accès à certaines archives judiciaires, qui, en cas d'utilisation perfide, pourrait raviver certaines passions cachées’. Il est frappant de constater qu'en 1996, il a été jugé nécessaire de protéger encore davantage les dossiers, un quart de siècle après que le sommet de la justice militaire ait décidé que l'accès des archives au public était finalement inévitable. Il n'est pas improbable que cette démarche soit intervenue en réaction à la révision du procès d'Irma Laplasse, femme condamnée à mort par la Cour militaire en 1945 et considérée par les partisans de l'amnistie comme un symbole d’une répression injuste.
En 2010, les Archives de l'État ont conclu un accord de principe avec le SPF Justice au sujet du déménagement des archives vers les Archives générales du Royaume 2 - Dépôt Joseph Cuvelier. Depuis le début de l'année 2018, ce n'est plus le personnel administratif du Collège des procureurs généraux mais les archivistes des Archives de l'État qui sont chargés de gérer les archives de la justice militaire. Au cours des quatre dernières années, plus de 1.400 demandes de consultation ont été traitées de cette façon. Les Archives de l'État plaident en faveur d'une réglementation durable, transparente et démocratique de la politique d'accès à ces archives. Plus de 75 ans après la fin de la guerre, la société y a droit.
L'article complet peut être lu sur le site internet de META.
Pour obtenir davantage d'informations sur les archives de la justice militaire ou si vous souhaitez consulter un dossier spécifique, veuillez contacter les Archives générales du Royaume 2 - Dépôt Joseph Cuvelier via cette adresse e-mail : agr_ar_2@arch.be.